Le Temps des Cerisiers
L’origine de la série Sakura Wars (ou Sakura Taisen en japonais) remonte en 1996. Le 27 septembre de cette année, elle faisait ses premiers pas sur la console de son éditeur de l’époque, à savoir la Saturn. Son concept pour le moins farfelu de mêler tactical-RPG et romance dans un monde où se battent des mechas n’est pas passé inaperçu et lui a permis de devenir très populaire dans son pays d’origine. Dès lors, la licence s’est développée et a pris différentes formes sous divers supports et médias.
Entre les jeux, le manga, les séries animées, les films et les produits dérivés, Sakura Wars est une véritable star japonaise qui n’a pas manqué de se trouver un petit chemin vers l’occident, notamment grâce à son adaptation télévisée. En revanche sur la terrain vidéoludique européen, le contact s’est opéré avec plus de complications. Si à ce jour, ce sont pas moins de 19 jeux qui alimentent son univers, seul un épisode a su franchir nos frontières. Ce nouveau Sakura Wars, qui fait à présent passer ce chiffre à deux, a ainsi la lourde tâche d’assurer l’héritage d’une longue lignée tout en rattrapant 10 ans d’absence.
Si l’idée de plonger dans une série aussi riche peut intimider les néophytes sans bagages, ils peuvent se rassurer car SEGA a tout bonnement choisi de relancer la machine par le biais d’un reboot. Celui-ci a pour décor l’ère Shôwa dans un Tokyo fictif aux allures très steampunk. Au milieu des années 40, une attaque de grande envergure mettant en scène des démons appelés Kôma a ravagé la ville et mis à terre la Imperial Revue Combat (Kagekidan), les forces de défense mondiales de la capitale. Située au théâtre impérial, la cellule de protection ne peut compter à présent pour porter ses murs que sur la Division des Fleurs, une petite équipe de recrues peu expérimentées. Malgré son caractère réduit et inexercé, la troupe essaye tant bien que mal d’apporter de l’espoir aux citoyens en les aidant mais aussi en organisant des spectacles théâtraux. Mais ses talents artistiques et ses efforts ne lui suffisent malheureusement pas à couvrir dettes et factures.
Sakura ou la Passion du Théâtre
C’est à ce moment que le héros incarné par le joueur entre en scène. Anciennement affecté auprès du bataillon auxiliaire de la Navy, Seijuro Kamiyama est envoyé au sein de la branche tokyoïte en tant que nouveau capitaine afin de former la Division des Fleurs et remettre au passage le théâtre sur pied. À cette mission, se retrousser les manches il faudra car en plus de devoir participer aux prochains Revue Combat World Games, un tournoi inter-division, une nouvelle menace d’ordre démoniaque se profile à l’horizon.
Heureusement que pour équilibrer les forces, nos héros peuvent compter sur un équipement digne de ce nom. Préalablement sélectionné de par leur grande énergie spirituelle, chaque membre de l’unité a la capacité de contrôler un mecha, ces fameuses machines humanoïdes. Le contexte étant posé, il est temps de remplir ses fonctions. De par son côté sentai, l’aventure s’articule sur deux grandes mécaniques. D’une part, il y a la vie en tant que chef d’une compagnie théâtrale et de l’autre, celle de capitaine sur le champ de bataille.
L’objectif principal au sein du théâtre consiste, dans les grandes lignes, à se lier d’amitié voire construire une romance avec le personnel et les comédiens. Façon visual novel, la narration et les relations se créent au cours de longs et prenants dialogues à l’intérieur desquels il est possible d’intervenir via un système de choix textuels limités en temps baptisé LIPS (Live and Interactive Picture System). Chaque réponse donnée a un impacte sur le niveau d’affection que l’interlocuteur développe à l’égard de Kamiyama. Bien que les stéréotypes se dessinent avec aisance, la curiosité de découvrir l’avancée de certaines discussions n’a aucun mal à se faire ressentir. Enrobées des codes extravagants et outranciers, propres aux sous-genres tels que Tranche de vie, Harem et Triangle Amoureux, les rencontres sont pleines de situations abracadabrantes face auxquelles il est difficile de ne pas esquisser un petit sourire.
Make Love and War
La jeune fille timide remplie d’innocence qui une fois au combat, dérouille des démons en se montrant son une rage folle, la protagoniste qui se déplace furtivement dans la base en croyant qu’elle est une ninja, ou le quiproquo à la suite duquel notre héros se colle le statut de pervers, sont autant de scènes humoristiques qui viennent animer notre progression. Mais face à toute cette animation, on en oublierait presque les enjeux principaux, et c’est bien là tout le problème.
Les rapports et intrigues annexes tendent à prendre le pas sur l’histoire centrale, ce qui dans son ensemble, rend légèrement la compréhension de l’oeuvre confuse. Cela se traduit également par un problème d’équilibrage entre les activités quotidiennes et les phases de combats qui pour ces dernières interviennent en majorité en fin de chapitre. Le joueur n’attendant que de jouer les Gundam devra ainsi se montrer bien patient avant d’assouvir ses envies, mais aussi quelque peu transigeant le moment venu.
Pour son reboot, SEGA a décidé, en ce qui concerne sa guerre robotique, de jouer la carte du changement frontal. Après presque 25 ans de bons et loyaux services envers le genre RPG tactique, la série s’essaye à présent au jeu d’action pur et dur. Fini le tour par tour et l’avancement en cases, place aux affrontements en temps réel avec coups et parades spontanés. Si sur le papier l’idée peut paraître plutôt originale, il ne faut pas passer longtemps à bord de la grosse armure robotisée pour s’apercevoir que des failles, et pas des moindres, s’y logent.
Outre de devoir composer avec une liste de combos très mince, les déplacements et mouvements d’esquive se font avec lourdeur et raideur. Qui plus est, l’agencement des touches pour le moins inhabituel rend les premières minutes de jeu un peu laborieuses. Mais si la jouabilité n’est pas non plus des plus inconfortables, il reste que dans la manière d’en découdre avec l’ennemi, une certaine routine s’installe rapidement. La possibilité de switcher avec les autres membres du bataillon aurait pu apporter de quoi varier les plaisirs. Cependant, aucun équipier ne dispose réellement de caractéristiques propres, ce qui enlève tout intérêt tactique.
Full Metal Classic!
Le parti pris de SEGA d’orienter sa licence vers un gameplay plus grand public est pour ainsi dire difficilement défendable. D’autant plus que le challenge proposé n’est pas grandement élevé. Les niveaux s’effectuent à la manière d’un beat’em all des plus classiques. Le joueur avance d’arène en arène en éliminant des vagues d’ennemis de façon dirigiste à la différence près qu’ici, des séquences de plateformes viennent pimenter l’avancée. Mettant essentiellement notre dextérité à l’épreuve au travers de passages surélevés ou de murs sur lesquels courir, ces petits exercices d’acrobatie auraient pu s’accompagner de leurs lots d’amusements si la prise en main n’avait été aussi capricieuse.
Toutefois, que les amateurs de mecha se rassurent, tout n’est pas à jeter à la casse dans cette guerre contre les Kôma. Les assauts demeurent pas moins agréables à l’oeil et offrent même de jolies effets visuels. Chaque héros a, dans son panel de coups, une attaque ultime qui une fois enclenchée donne lieu à une spectaculaire cut-scene qui déborde d’explosions pyrotechniques.
Dans l’ensemble, le jeu se veut même esthétiquement beau. Les fans regretteront peut être l’absence au sein de l’équipe artistique du talentueux Kosuke Fujishima connu notamment pour son travail en tant que chara-designer sur les Tales of et les mangas Ah! My Goddess et You’re Under Arrest. Pour autant, son remplaçant n’a rien d’un novice et assure même fort bien son rôle puisqu’il s’agit du grand Tite Kubo qui n’est autre que le créateur du manga Bleach.
Tout en rendant hommage à son prédécesseur, le papa d’Ichigo Kurosaki apporte ce style tantôt léger, tantôt tranchant que l’on retrouve à travers ses oeuvres et qui pour le coup, colle magnifiquement à la double narration du jeu. Son travail est d’ailleurs sublimé par une réalisation en cel-shading aux petits oignons. À la fois mécaniques, élégants et colorés, les environnements sentent bon l’odeur des cerisiers en fleur, ce qui invite tout naturellement à l’exploration. Il en devient même frustrant d’être limité en zone et en action, tant l’ambiance shonen qui enveloppe les lieux est palpable. Les cinématiques élaborées à partir du moteur ont même de quoi faire rougir certains films d’animations japonais actuels.
Quand vient l’automne
Sur le plan esthétique et technique, Sakura Wars peut donc se vanter d’avoir réussir à rattraper deux générations, voire plus sachant que sa dernière parution sur Wii (Sakura Wars : So Long, My Love) était un portage du cinquième volet sur PS2 (2005). Il n’est néanmoins pas simple d’en dire autant de son contenu et de sa composition narrative. Au-delà des massacres de démons et des conversations interactives qui certes, peuvent présenter différentes conclusions, le jeu n’a rien d’autre de très engageant dans ses manches qui permettrait de casser sa linéarité.
Outre la collecte d’images à l’effigie des célèbres figures de la saga, la seule et unique activité digne d’intérêt prend la forme d’un jeu de carte, communément appelé le Hanafuda, dont le but est de capturer les cartes de son adversaire en créant des combinaisons plus puissantes en fonction de ce que la table propose. Mais une fois les différents concurrents battus, rien ne pousse véritablement à remettre notre titre de champion en jeu. En fin de compte, le bilan global pourrait se conclure de la même manière. Arrivé au terme des 8 chapitres qui se complètent plus ou moins en trois heures chacun, il n’est pas sûr que le joueur cherchant dans l’action aussi bien de la variété que du rythme soit tenté de relancer une campagne dans le seul but de découvrir les différentes fins.
En soi, ce Sakura Wars est un peu à l’image de son théâtre. Il semble coincé entre la volonté de se renouveler et celle de perpétuer ses traditions. Pourtant, il prend soin d’essayer de nouvelles choses à travers son écriture et son gameplay, mais n’arrive pas à aller au bout de ses idées, ou du moins pas dans le bon sens. Si le charme agit bel et bien en surface et les intentions d’innover sont appréciables, l’architecture accuse quant à elle d’un certain retard et ce n’est pas son système d’entretien romantique et de combat qui diront le contraire, tant leur fonction est rudimentaire. Des échanges plus interactifs ou une progression en expériences variables selon les affinités lui auraient peut être un minimum permettant de se détacher des standards, voire de donner au genre de nouveaux horizons narratifs.
Ce test a été réalisé à partir d’une version dématérialisée, fournie par l’éditeur, sur PlayStation 4.