Attaquez-les tous !
Les équipes de Game Freak ont-elles pressenti à leur manière le confinement ? C’est du moins ce que laisse supposer le scénario de leur nouvelle production qui, derrière ses airs mignons et édulcorés, pourrait également faire penser au manga de Hajime Isayama. Tout commence dans le petit village de Little Town, isolé volontairement non pas pour cause de mesures sanitaires, mais pour le préserver des attaques de monstres. En réalité, le roi a décrété que toute sortie hors du village était interdite ce qui, contrairement aux autres habitants, n’est pas trop du goût d’un certain petit Axe. Têtu et téméraire, le jeune héros a pour rêve de découvrir le monde qui s’ouvre au-delà des murs de la forteresse.
Déterminé à voir ses désirs devenir réalité, le garçon aux cheveux rouges tente à plusieurs reprises, en compagnie de Nelz, son meilleur ami, d’outre passer le règlement. Mais malheureusement pour eux, leurs opérations se soldent à chaque fois par un échec. C’est toutefois au cours de leur dernière tentative que les deux camarades vont faire la rencontre de Angard, un vétéran de l’armée royal, chargé à présent de protéger la ville. Ce dernier, convaincu du potentiel de notre duo, décide de les prendre sous son aile dans le but de les entraîner à devenir de véritables soldats. Et ils vont vite être mis à l’épreuve puisque des créatures aux intentions peu amicales s’apprêtent à perturber la tranquillité des lieux.
Il serait vain d’y aller par quatre chemins, ce n’est encore fois pas à travers Little Town Hero que Game Freak va montrer tout son potentiel de conteur d’histoire. Comme tout bon JRPG qui se respecte, les dialogues se veulent très généreux. Mais, autant dire le tout de suite, la quantité n’est pas ici venue accompagnée de sa copine qualité. Si beaucoup de points et sujets de discussion n’apportent rien à la progression, ni même à l’univers proposé, d’autres n’ont carrément aucune réelle cohérence. Au début, il est possible d’esquisser un petit sourire au détour d’une ou deux répliques mais à la longue, les échanges deviennent assez vite barbants. L’envie de zapper les lignes de texte se laisse pour ainsi dire vite ressentir. Le doublage n’étant pas au programme, de la lecture, il y’en a, et tout en anglais qui plus est.
La Chute des Titans
Outre d’avoir une trame principale aux enjeux et propos anecdotiques, l’aventure s’accompagne de quêtes secondaires qui n’ont pour seul but que d’allonger défavorablement, pour ne pas dire alourdir, la progression. Certaines d’entre elles permettent certes d’enrôler des compagnons de chasse, mais encore une fois, la manière dont cela est présenté ne sert en rien à enrichir les personnages. La majorité d’entre-eux ne sont d’ailleurs pas grandement avantagés en termes d’écriture. Lorsqu’ils ne jouent pas les niais au possible, nos héros se perdent dans une multitude de stéréotypes. Du rival prêt à tout pour surpasser le protagoniste principal (vous avez dit Pokémon ?) à l’amie d’enfance constamment inquiète des plans farfelus de son copain, en passant par la fille du riche marchand profitant de sa position privilégiée pour mettre son grain de sel, le déroulement et la finalité de l’intrigue se laissent rapidement devinés.
En soi, le scénario très convenu et enfantin reste dans la continuité de la direction artistique aux allures kodomo (terme japonais désignant les mangas destinés, plus particulièrement, à un très jeune public) du jeu. Avec ses couleurs chatoyantes et ses formes kawaii, l’esthétique portée par un cell-shading soigné est très plaisant à l’oeil. Cependant, Little Town Hero a beau proposer une jolie patte, il n’empêche qu’elle est peu exploitée. La faute revient en grande partie au concept même du jeu, à savoir concentrer son récit au sein d’un seul lieu : le village. Bien qu’au fur et mesure de l’aventure la zone d’exploration s’élargit un peu, l’impression de tourner en rond pointe facilement le bout de son nez ; un sentiment appuyé non seulement par l’aspect plat des décors, mais aussi par la présence de murs invisibles et de boîtes de dialogues demandant de revenir sur ses pas.
Il en va de même du côté du bestiaire. La liste des ennemis face auxquels le joueur doit ici se mesurer fait pâle figure face au nombre de Pokémon recensé, ne serait-ce que par génération. En revanche, si l’effectif des monstres n’atteint pas les quotas habituels du studio, il reste que leur design se veut bien plus inspiré. Terrestres ou aériennes, telles des versions chibi de la faune légendaire de Monster Hunter, les hostiles créatures de Little Town Hero en imposent non seulement par leur taille, mais aussi par leur mignarde férocité. Si le doute est permis, il ne faut toutefois pas se fier au cadre gentillet du titre. Véritables point fort de ce JRPG, les affrontements demandent d’aiguiser son esprit stratège à différents niveaux.
Pokémon Party ?
Plusieurs éléments (un peu trop, peut être) sont à appréhender au sein de ce système combat pour le moins complexe. Il y a tout d’abord la notion d’idée, ou Izzit pour les idées émergentes, et Dazzit, les idées actives. Pour agir, chaque partie doit, tout en considérant ses points d’action (autorisés par tour), matérialiser ses idées en fonction de leur statistique et de leur code couleur : rouge pour l’attaque, jaune pour la défense, et bleu pour les objets ou techniques spéciales. Dès lors, le but est d’organiser intelligemment ses idées – un peu à la manière d’un jeu de cartes – afin de briser celles de son adversaire et atteindre par la suite ses points de vie.
Mais les règles ne s’arrêtent pas là. Si jusqu’à présent la bataille a de quoi ressembler à un jeu de plateau, cette dimension est largement soulignée par la présence d’un tablier représentant la carte du village. En effet, à chaque tour, le joueur se doit de lancer un dé (1 à 4 pas) dans l’espoir d’atteindre une case propice à ses plans. Entre l’allié apportant des bonus de pouvoirs, les terrains activant une idée spéciale, et ceux munis d’un arsenal, les possibilités tactiques sont à la fois larges et variables, ce qui rend chaque combat plus ou moins unique. De prime abord, cette singularité dans les échanges est plutôt engageante. Mais là où le bât blesse, c’est lorsque l’apport stratégique est évincé par des données aléatoires. Mis bout à bout, tous ces éléments donnent lieux à des parties parfois interminables, qui ont tendance à pousser à la frustration.
Il est d’autant plus frustrant que rien n’invite réellement à progresser, voire à s’impliquer, ne serait-ce en termes de récompense. La victoire offre seulement des points dits Eureka servant à renforcer les Izzit. Aucune gestion de la bourgade, ni même de système d’expérience, ne sont ici proposés, ce qui engendre une certaine monotonie. Il aurait été plutôt bienvenu de profiter justement du caractère isolé de notre base et de pouvoir ainsi la customiser par le biais de ressources durement acquis lors d’une bataille. Au lieu de ça, Little Town Hero se colle des défauts qui semblent de plus en plus inhérents au studio. Et que dire de sa bande-son composée par Hitomi Sato (saga Pokémon) et Toby Fox (Undertale), si ce n’est qu’elle n’a rien de très marquant. Quoi qu’il en soit, il faut lui reconnaître que ce Little Town Hero sort de l’ordinaire et recèle même, sans mauvais jeu de mots, de bonnes idées. Mais malheureusement, cela ne fait pas tout.
Vendue une cinquantaine d’euros, la Big Idea Edition de Little Town Hero fête l’arrivée en version physique du jeu de Game Freak avec de sympathiques bonus.
En plus du jeu, le coffret renferme un artbook joliment garni, un poster Izzit/Dazzit capable de vous faire cauchemarder sur le système de combat du jeu, des pins et même le CD de la bande-son. Dommage que cette OST n’ait rien d’exceptionnelle, reste que les collectionneurs apprécieront le contenu de cette édition finalement aussi coûteuse qu’une édition standard.
Ce test a été réalisé à partir d’une version physique, fournie par l’éditeur, sur Playstation 4.